Le blanchiment d’argent trouve ses origines dans l’histoire criminelle où les individus et les organisations cherchaient à cacher les profits illicites de leurs activités illégales. Le terme “blanchiment d’argent” serait apparu pour la première fois aux États-Unis dans les années 1920 et 1930, pendant l’époque de la prohibition.
La Prohibition est une période de l’histoire américaine durant laquelle la production, la vente et le transport de boissons alcoolisées ont été interdits. Ce mouvement a été en grande partie alimenté par les efforts de divers groupes de réforme sociale et de tempérance qui estimaient que l’alcool était la cause de nombreux problèmes sociaux, y compris la pauvreté, la criminalité, et la dégradation morale.
Entrée en vigueur aux États-Unis en 1920 avec le 18ème amendement, cette interdiction a créé une opportunité lucrative pour le crime organisé. Des figures célèbres du crime organisé, comme Al Capone, ont prospéré en vendant illégalement de l’alcool. Pour masquer les énormes profits générés par ces activités illégales, ils ont utilisé diverses techniques de blanchiment d’argent. L’une des méthodes courantes consistait à investir dans des entreprises légitimes, comme des laveries automatiques, afin de dissimuler l’origine illicite des fonds.
De manière pratique, comment Al Capone blanchissait l’argent ?
On perçoit bien aussi, les différentes étapes du blanchiment telles qu’identifiées jusqu’aujourd’hui :
Ensuite viennent les années 70 et 80 marquées par une augmentation mondiale du trafic de drogue avec des conséquences sociales et économiques qui ont impactées :
- la santé publique : L’usage de drogues illicites a eu des effets dévastateurs sur la santé publique, conduisant à une augmentation des décès par overdose, des maladies transmissibles (comme le VIH/SIDA) et des problèmes de santé mentale.
- la criminalité et la violence : Le trafic de drogue a entraîné une hausse de la criminalité violente et de la corruption, affectant la sécurité publique et la stabilité politique dans de nombreux pays, en particulier dans les régions productrices de drogues.
Aussi, la prolifération des drogues illicites (croissance rapide de la production et du trafic de drogues illicites, notamment la cocaïne, l’héroïne et le cannabis) a occasionné plusieurs scandales politico-financiers majeurs, tous ayant comme dénominateur commun le blanchiment d’argent provenant du trafic illicite de stupéfiants.
Parmi ces scandales, notons l’affaire BCCI (Bank of Credit and Commerce International). La BCCI, fondée en 1972, est rapidement devenue l’une des plus grandes banques du monde, avec des opérations dans plus de 70 pays. Elle était connue pour ses pratiques bancaires opaques et sa capacité à attirer des dépôts de sources suspectes. En 1991, la BCCI a été fermée par les régulateurs internationaux après avoir été impliquée dans une série d’activités criminelles, y compris le blanchiment d’argent provenant du trafic de drogue, la fraude, et la corruption. Les enquêtes ont révélé que la BCCI avait facilité des transactions illicites pour des cartels de drogue et d’autres criminels. Le scandale de la BCCI a mis en lumière les failles dans la régulation bancaire internationale et a conduit à des appels pour des réformes financières et une coopération accrue entre les régulateurs.
Un autre scandale concerne l’affaire Noriega et le Cartel de Medellín. Manuel Noriega, le dictateur militaire du Panama, avait des liens étroits avec le cartel de Medellín, l’un des plus puissants cartels de drogue au monde, dirigé par Pablo Escobar. Noriega utilisait le système bancaire panaméen pour blanchir des millions de dollars de profits de la drogue. Il permettait aux cartels de déplacer des fonds à travers le Panama en échange de paiements substantiels. En 1989, Noriega a été renversé par une invasion militaire américaine et capturé. Le procès de Noriega aux États-Unis en 1992 a exposé les liens entre le trafic de drogue, le blanchiment d’argent et la corruption politique. Il a également souligné la nécessité de renforcer les mesures contre le blanchiment d’argent à l’échelle internationale.
L’affaire Iran-Contra quant à elle a éclatée dans les années 1980 lorsque des informations ont révélé que des membres de l’administration Reagan avaient secrètement vendu des armes à l’Iran, malgré un embargo, et utilisé les profits pour financer les Contras, un groupe rebelle nicaraguayen. Une partie des fonds pour les Contras provenait du trafic de drogue. Les Contras étaient impliqués dans le trafic de cocaïne, et les profits étaient utilisés pour financer leur lutte contre le gouvernement sandiniste au Nicaragua. Les fonds illicites étaient blanchis à travers des réseaux complexes. Le scandale Iran-Contra a non seulement exposé l’implication des États-Unis dans des activités illégales, mais a également mis en lumière l’interconnexion entre le trafic de drogue, le financement de conflits armés et le blanchiment d’argent. Cela a conduit à des enquêtes et des réformes visant à renforcer les contrôles sur les activités gouvernementales clandestines.
Enfin l’affaire Banco Ambrosiano, une banque italienne étroitement liée au Vatican, a été impliqué dans un énorme scandale financier dans les années 1980. Le président de la banque, Roberto Calvi, était surnommé “le banquier de Dieu” en raison des liens de la banque avec le Saint-Siège. Le Banco Ambrosiano était impliqué dans des opérations de blanchiment d’argent liées au trafic de drogue. En 1982, Calvi a été retrouvé pendu sous le pont Blackfriars à Londres, dans ce qui a été officiellement déclaré un suicide, bien que de nombreux éléments suggèrent un meurtre. Le scandale a révélé les connexions entre le blanchiment d’argent, la finance internationale et les institutions religieuses. Il a également conduit à des enquêtes approfondies sur les pratiques bancaires et à des appels à une transparence accrue dans le secteur financier.
Toutes ces crises ont mis en évidence la nécessité d’une coopération internationale renforcée pour lutter contre le trafic de drogues illicites et le blanchiment d’argent. C’est ainsi que la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, connue sous le nom de Convention de Vienne de 1988, a été élaborée et ratifiée.
Cette convention oblige les États signataires à criminaliser non seulement la production et le trafic de drogues illicites, mais aussi les activités connexes telles que le blanchiment d’argent, le détournement de précurseurs chimiques, et la corruption liée au trafic de drogue.
Dans les décennies suivantes, les lois règlementations se sont renforcées.
Sur le plan sous-régional africain, les évaluations mutuelles réalisées par le GAFI entre 2017 et 2022 ont mis en relief des insuffisances aussi bien en termes de conformité technique que d’efficacité. Il est donc apparu nécessaire d’adapter la réglementation de la LBC/FT/FP dans l’Union aux exigences en la matière. C’est ainsi que va naître, avec ses 19 principales innovations, la Directive de 2023 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive dans les Etats membres de l’UEMOA.
Si cette Directive (de laquelle découle l’ordonnance 2023-875 relative à la LBCFTP) vient être une réponse aux lacunes de la conformité technique observées dans notre région, à savoir le degré de prise en compte des exigences posées par les recommandations du GAFI dans un cadre juridique ainsi que dans les autres textes adoptés par les Etats membres, elle est avant tout une mise à niveau pour tenir compte des évolutions intervenues dans les recommandations du GAFI depuis 2015.
Les 19 principales innovations y introduites portent notamment sur : l’intitulé de la loi, le champ d’application, l’approche fondée sur les risques, l’incrimination du financement de la prolifération, l’incrimination du blanchiment de capitaux, l’incrimination du financement du terrorisme, les sanctions financières ciblées, les virements électroniques, les obligations des institutions financières et des EPNFD, les obligations des opérateurs de transfert de fonds, la mise en place d’un système de déclaration des transports physiques d’espèces et d’instruments négociables au porteur intracommunautaire, l’évaluation des risques, le rôle, le fonctionnement et les missions des CENTIF, la réglementation et le contrôle des institutions financières et des EPNFD, les Personnes Politiquement Exposées (PPE), les prestataires de services d’actifs virtuels, les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques, la réglementation et le contrôle des OBNL et le renforcement de la coopération.
Malgré les progrès significatifs, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme présente encore de nombreux défis. Les criminels utilisent des techniques de plus en plus sophistiquées pour échapper à la détection. De plus, la règlementation varie d’un pays à l’autre, créant des failles que les criminels peuvent exploiter.
Pour aller de l’avant, il est essentiel de renforcer la coopération internationale, d’harmoniser les régulations et d’adopter des technologies innovantes pour anticiper et contrer les nouvelles méthodes de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme est une mission continue et évolutive qui nécessite l’engagement de toutes les parties prenantes pour protéger l’intégrité du système financier mondial.